La douloureuse reconstruction des sinistrés

15 Minutes

Six mois après les inondations du 29 octobre qui ont ravagé le littoral de Valence en Espagne et fait 228 morts, la population peine à se reconstruire tant matériellement que psychologiquement. Les équipes de Caritas Valence interviennent auprès de plus de 16 000 sinistrés et leur apportent une aide matérielle, financière et émotionnelle.

Juliàn Navarro a encore du mal à y croire. L’agriculteur, installé à la Torre de Utiel, à 85 km de Valence, marche dans ses champs encore meurtris par la violence de l’eau des mois après le passage dévastateur de la DANA, (Dépression à l’Altitude d’Origine Non-Tropicale en espagnol), appelée « goutte froide ». Sur ses 12ha de terres, deux parcelles de vignes ont été détruites par le débordement de la rivière Magro, habituellement à sec. Cristobal, curé de la paroisse, l’accompagne pour constater les dégâts dans ces terres réputées pour leur vin rouge. Le cultivateur montre les pieds de vigne encore courbés sous le poids de la fange et des branchages.

Le changement climatique est une réalité

Ce 29 octobre 2024, les pluies ont commencé dans la nuit. La rivière Magro est sortie de son lit peu avant la mi-journée. « Deux heures plus tard, c’était le chaos, la rue était devenue une mer », explique Juliàn qui se trouve alors chez lui à Utiel. Réfugié sur sa terrasse, il est sauvé par les pompiers juste avant qu’un mur ne s’écroule sous la pression de l’eau. Les maisons à un étage construites dans les années 60 sont toutes touchées alors qu’elles sont situées dans un quartier éloigné de la rivière. Des voisins ont été secourus par un hélicoptère, d’autres se trouvent piégés au rez-de-chaussée. Juliàn, son épouse et leur fille passent une nuit d’angoisse dans un restaurant épargné par les flots.

Tout est à refaire, des tuyauteries aux câbles électriques. Cinq mois plus tard, les chambres sentent la peinture fraîche mais les murs du garage portent encore les marques du niveau de l’eau : 1,7 mètre. La totalité des meubles et des outils de travail de Juliàn ont été noyés. « Tout flottait dans l’eau et la boue », dit Julian qui avait assuré sa maison, ce qui lui permet de financer une partie des travaux. 

En plus d’une aide au logement, Caritas lui a accordé 4000 euros pour le rachat d’un sécateur électrique, d’une tronçonneuse et d’autres outils indispensables à son activité. Une aide qui l’a soulagé et le pousse à « aller de l’avant ». Bien qu’il s’estime chanceux d’être en vie, Juliàn est bouleversé par la catastrophe. Sa ville est méconnaissable. « Le lycée va être démoli, les trottoirs ont été arrachés, il faut tout reconstruire », explique-t-il. La peur de nouvelles inondations le tourmente : « Le changement climatique est une réalité et cela arrivera à nouveau. Ce que l’on ignore, c’est quand. »

Comme après un bombardement

Plus au sud, Chiva est l’un des épicentres de la catastrophe. Située à une trentaine de kilomètres de Valence, la commune est traversée par le ravin du Poyo appelé aussi rambla, un canal naturel d’évacuation de l’eau des montagnes. D’habitude un maigre filet qui s’écoule à travers des arbres et des jardins. Le 29 octobre, il s’est transformé en un torrent dévastateur, charriant de la boue, des pierres, des arbres et des voitures. Un an de précipitations sont tombées en une journée. Des vagues de trois mètres sont venues arracher les façades des maisons. Des rues entières se sont effondrées. Désormais, le ravin est une plaie béante dans la ville, les maisons restent éventrées. 

Les travaux semblent avoir à peine commencé. De nombreuses rues manquent encore dans le quartier de Bechinos, un dédale de ruelles et d’impasses construites par les populations musulmanes du XIIe siècle. Concepción Feíjoo, 67 ans, vivait là avec son mari dans sa maison d’enfance. De l’autre côté du ravin, elle pointe ce qu’il en reste. L’eau a laissé à nu le rez-de-chaussée et le premier étage. « Tout est en ruines, comme après un bombardement », dit Concepción.

Le jour de l’inondation, elle se réfugie avec son mari et leur chienne chez une voisine, alertée par la rumeur de la rivière qui a commencé à gonfler dans son lit. Chiva est sous les eaux et dans le noir à 18h. « Je n’ai pas pu dormir cette nuit-là ». La retraitée n’a gardé que des vêtements et des photos conservés au deuxième étage presque épargné. « Le 31 octobre, on m’a expulsée de chez moi. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai plus le droit d’y rentrer. » Sa porte a été scellée. Depuis, la sexagénaire, son mari et leur chienne sont logés dans un appartement prêté par une amie. Une chance même si elle ne rêve que de rentrer chez elle.

Concepción n’avait pas les moyens de souscrire à une assurance habitation. Elle recevra une aide de l’État estimée à 40 000 euros, un apport qu’elle juge insuffisant vu les dégâts. Malgré tout, elle n’a pas sollicité d’aide financière de la part de Caritas. Elle est néanmoins soutenue sur le plan psychologique par l’équipe de Chiva. Arantxa et Luisa, travailleuses sociales, l’ont accompagnée dans ses démarches administratives. Pour Concepción, la solidarité populaire a primé sur celle des pouvoirs publics. « J’ai reçu des virements bancaires directement sur mon compte de la part de personnes que je ne connaissais pas ». Les sinistrés commencent tout juste à recevoir l’aide de 6000 euros du gouvernement régional ainsi que les fonds du milliardaire espagnol Amancio Ortega. Au total 4,9 millions d’euros de fonds privés rien que pour Chiva, répartis selon les dommages et un barème financier allant jusqu’à 10 000 euros par foyer.

Slide

Au total, 25 maisons de Chiva devront être démolies selon les pouvoirs publics. Le ravin doit être reconstruit avec de nouveaux murs de soutènement. Les travaux avancent lentement en raison des vestiges de l’époque arabo-musulmane.

Slide

Grâce à votre générosité, 120 jeunes ont pu suivre une formation qualifiante en hôtellerie-restauration et décrocher leur premier contrat.

Slide

Avec vos dons, 8 logements temporaires ont été aménagés pour des familles en situation d’exclusion, leur offrant sécurité et stabilité.

Slide

En réponse aux récentes inondations, 300 kits d’urgence (nourriture, couvertures, produits d’hygiène) ont été distribués grâce à votre soutien.

previous arrow
next arrow

Une région en travaux

Les inondations ont touché 75 communes et près d’1,8 million de personnes. Sur les 130 000 habitations situées dans les zones inondées, le Consortium d’indemnisation des assurances a dénombré 48 003 maisons affectées, un chiffre qui ne tient compte que des logements assurés. De son côté, Caritas aide à hauteur d’un maximum de 15 000 euros par foyer pour les travaux de rénovation.

Dans les communes dites de l’Horta Sud de Valence, cette aide au logement est particulièrement nécessaire. Depuis Chiva, la rambla, rejointe par de nombreux canaux, a continué sa course avec violence. Son débit a été quatre fois supérieur à celui de l’Èbre, le fleuve le plus puissant d’Espagne. Or, une fois passée l’autoroute, la rambla devient un simple fossé. Des plaines inondables ont été urbanisées et les ravins ne résistent pas à des débits aussi puissants.

La DANA n’a épargné personne mais les personnes âgées ont été particulièrement affectées.

Sonia Sevilla, 27 ans, est travailleuse sociale dans cette région, à Sedaví. Ce matin, elle rend visite à Angelines Sanchez. La retraitée a reçu 10 000 euros de Caritas destinés à la réparation de sa maison, une grande demeure aux murs hauts et carrelés. L’eau est montée jusqu’à 1,8 mètre. « La boue et l’eau arrivaient par les prises électriques, elles venaient de dehors mais aussi du sol du patio ! », se remémore Angelines. Elle s’est sauvée par le balcon à l’étage, tirée par ses deux fils. Dans sa chambre, l’armoire centenaire s’est renversée. Le bois a gonflé et Angelines espère la restaurer car le meuble est le seul vestige de sa famille. « Je n’ai pu sauver aucune photo de mon époux, les vieilles photos sont très fragiles », explique Angelines, la voix cassée par l’émotion. Sonia l’enlace sur le pas de la porte : « les gens ont perdu leurs souvenirs, c’est le pire ».

Désormais, les sinistrés ont rendez-vous dans les centres paroissiaux où ils sont accompagnés par les travailleuses sociales, comme Sonia ou encore Clara Campos, 25 ans. Au cœur du quartier populaire de La Torre, cette dernière a reçu 500 personnes en trois mois. « La DANA n’a épargné personne mais les personnes âgées ont été particulièrement affectées », rappelle Clara qui pointe la perte d’autonomie des sinistrés. « Au début, ils s’occupaient en enlevant la boue, maintenant ils attendent les travaux avec l’angoisse de ne pas avoir assez d’argent. », explique la jeune femme.

Surmonter le trauma, ensemble

L’urgence passée, il y a une grande disparité dans les besoins. Des familles ont dépensé toutes leurs économies pour acheter un logement ou effectuer les travaux nécessaires, d’autres ne sont toujours pas rentrées chez elles. Les sinistrés ont aussi besoin de parler et d’être écoutés. Chaque rendez-vous dure près d’une heure et demie. Nous avons créé un espace sûr dans la paroisse pour les victimes avec un goûter toutes les deux semaines. Nous avons acheté une cafetière et un canapé. Ces rendez-vous ensemble sont une façon de les soutenir psychologiquement. 

Au début, chacun est réticent à l’idée de parler. Puis les gens se détendent, se sentent libres de s’exprimer
et finissent par sortir tout ce qu’ils gardent en eux. Et il y a tant de choses ! Les gens sont épuisés physiquement, mentalement et émotionnellement, car cela dure depuis des mois. Entre les procédures, les rendez-vous et les dossiers à déposer dans les administrations. Ils sont très fatigués. Alors, la parole de l’un libère la parole de l’autre. Ils s’écoutent et partagent leurs expériences. Ils se comprennent car ils ont vécu des choses similaires. C’est pourquoi j’ai demandé que l’on nous envoie des psychologues. Pour les sinistrés bien sûr, mais aussi pour nous qui portons beaucoup sur nos épaules. Cette aide psychologique sera d’autant plus nécessaire que beaucoup ne se sont pas encore effondrés : ils n’ont toujours pas parlé de ce qui leur était arrivé. Cela va prendre du temps. Il en va de même pour les enfants et les jeunes qui n’ont pas encore réalisé ce qui leur était arrivé mais ils ont vécu des choses terribles. Tous doivent sortir ce qu’ils ont sur le cœur. S’ils ne le font pas, cela s’exprimera d’une manière ou d’une autre et il faut éviter de futures maladies, conséquences de ce traumatisme.

Crédits

Élise Marbeau
Journalise

POUR RESTER INFORMÉ(E)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut